La minute droit de Maître Raison : suppression du poste de gardien en copropriété

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gardien qui sort les poubelles

La présence d’un gardien dans un immeuble en copropriété permet d’offrir à ses occupants de nombreux services : distribution du courrier, entretien des parties communes, surveillance des accès, signalement des désordres éventuels, etc.

 

Néanmoins, pour des questions financières, les copropriétaires peuvent choisir de supprimer le poste de gardien. Dans cette hypothèse, le sort de la loge, partie commune, doit aussi être tranché par le syndicat des copropriétaires qui peut décider de la vendre ou de la transformer en une partie commune affectée à un autre usage.

Cependant, compte tenu de ses conséquences éventuelles sur la destination de l’immeuble mais aussi sur les modalités de jouissance des parties privatives par les copropriétaires, la suppression du poste de gardien est soumise à des conditions de majorité strictes.

 

Ainsi, l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965 fixe les modalités de vote de la suppression du poste de gardien dans les immeubles en copropriété :


« Sont prises à la majorité des membres du syndicat représentant au moins les deux tiers des voix les décisions concernant : (…)

c) La suppression du poste de concierge ou de gardien et l'aliénation du logement affecté au concierge ou au gardien lorsqu'il appartient au syndicat. Les deux questions sont inscrites à l'ordre du jour de la même assemblée générale. (…)

Lorsqu'en vertu d'une clause du règlement de copropriété la suppression du service de conciergerie porte atteinte à la destination de l'immeuble ou aux modalités de jouissance des parties privatives, la suppression du poste de concierge ou de gardien et l'aliénation du logement affecté au concierge ou au gardien lorsqu'il appartient au syndicat ne peuvent être décidées qu'à l'unanimité. »


 
Une lecture stricte de ce texte permettrait de considérer que l’unanimité n’est requise que lorsqu’une clause du règlement de copropriété prévoit que la suppression du service de conciergerie porte atteinte à la destination de l'immeuble ou aux modalités de jouissance des parties privatives. Cependant, même en l'absence de clause spécifique, le juge se réserve la possibilité d'apprécier l'existence éventuelle d'atteintes à la destination de l'immeuble ou aux modalités de jouissance des parties privatives et le cas échéant la nécessité de voter la suppression à l'unanimité[1].

 

Le choix de règles de majorité erronées expose le syndicat des copropriétaires à un risque de contestation des résolutions adoptées par l’assemblée générale.


La difficulté réside donc dans l’appréciation de l’impact de la présence d’un gardien sur les droits des copropriétaires de l’immeuble, lorsqu’elle est prévue par le règlement de copropriété. Les modalités de jouissance des parties privatives, ainsi que la destination de l’immeuble, sont des notions qui comportent une grande part de subjectivité, ce qui peut rendre difficile la caractérisation d’une atteinte.

      
La jurisprudence a dégagé des « critères » permettant d’identifier l’existence d’atteintes à la destination de l'immeuble ou aux modalités de jouissance des parties privatives, et donc déterminer la majorité à appliquer pour procéder au vote de la suppression du poste de gardien et limiter le risque de contentieux.

 


    •    La mention dans le règlement de copropriété de la présence obligatoire d’un gardien dans l’immeuble.



La jurisprudence considère que lorsque « l’existence d’un gardien était prévue par le règlement de copropriété, la suppression du poste de concierge requiert l’unanimité, parce qu’elle porte atteinte aux modalités de jouissance des parties privatives résultant de ce règlement »[2]. Cette position a été réitérée à plusieurs reprises[1][3]. Le fait que le règlement de copropriété liste avec précision les tâches dévolues au gardien est un élément de nature à établir le caractère obligatoire de sa présence[3].

A l’inverse, lorsque « le règlement de copropriété n’impose pas l’existence d’un concierge mais le rend simplement possible en le laissant à la discrétion du syndicat », la jurisprudence a pu valider  le vote de la suppression à la double majorité de l’article 26[4].



•    La mise en place de solutions de substitution dans la copropriété.



Néanmoins, la jurisprudence considère que, même si le règlement de copropriété prévoit l’existence d’un gardien, le vote ne doit pas être réalisé à l’unanimité « dans l’hypothèse où les solutions de substitution mises en place par la copropriété offrent aux copropriétaires des avantages strictement équivalents à ceux que leur proposait le service de conciergerie qui a été supprimé » [2]. Le vote pourra alors être réalisé à la double majorité de l’article 26.

Classiquement, les copropriétés qui décident de supprimer le poste de gardien font appel par la suite à un prestataire extérieur, chargé de l’entretien des parties communes. Cependant, la jurisprudence majoritaire considère qu’un tel service ne permet pas de combler parfaitement les services qui ne se trouvent plus assurés aux occupants de l’immeuble du fait de la suppression du poste de gardien : « le recours à un prestataire extérieur à l’immeuble qui effectue à la quinzaine des tâches se limitant à la propreté et à l’entretien des parties communes ne permet nullement d’apporter aux copropriétaires des avantages équivalents à ceux rendus par un gardien logé à demeure en assurant aux copropriétaires un service continu conforme à celui prévu dans le règlement de copropriété » [3].



La présence d’un gardien sur place est considérée comme assurant « une meilleure sécurité de l’immeuble et une commodité supérieure pour les divers services auxquels les copropriétaires peuvent prétendre en exécution d’un contrat de gardien »[5], et la seule présence d’un digicode et d’un interphone, « insuffisante à garantir un niveau équivalent de sécurité, en prévenant les risques d’intrusion »[3].



De la même façon, « l’installation de boîtes aux lettres dans le hall de l’immeuble n’offre pas aux copropriétaires un service équivalent à celui que leur procurait le service de courrier porté à chaque appartement par le concierge », et « les taches de liaison avec le syndic et les entreprises de maintenance amenées à intervenir dans la copropriété, qui sont nécessairement effectuées par tout gardien logé dans la copropriété, ne sont plus assurées »[2].
 

 
La jurisprudence apprécie donc strictement l’équivalence des services de remplacement proposés et, en pratique, il est très difficile de démontrer qu’un prestataire externe ou des installations complémentaires permettent de remplacer les services d’un gardien.



•    L’importance de la présence du gardien au regard de la destination de l’immeuble.



Selon la jurisprudence, la présence d’un gardien peut être « justifiée par la destination de l’immeuble, de standing, dont elle constitue un élément essentiel et dont les missions, qui participent du maintien de cette destination, sont très minutieusement détaillées »[3]. Dans ce cas, sa suppression portera nécessairement atteinte à la destination de l’immeuble et devra donc être votée à l’unanimité.
 

 
La notion de standing immobilier est appréciée par les magistrats en fonction des circonstances de l’espèce, et est soumise à un aléa judiciaire important. Ainsi, certaines juridictions considèrent que « la situation et les caractéristiques propres de l’immeuble (tapis dans l’escalier, ascenseur, loge, etc. » et le fait que l’immeuble soit situé dans « un quartier très prisé de la capitale » à proximité de monuments historiques, permettent de le qualifier de bâtiment de standing. D’autres juridictions considèreront que la localisation d’un immeuble dans un quartier aisé, ainsi que son « type haussmannien bien entretenu » ne suffit pas à lui conférer un standing particulier[6].

 


Notre conseil : Au regard de la position de la jurisprudence, dans l’hypothèse où le règlement de copropriété prévoit la présence d’un gardien et fixe précisément les tâches qui lui sont confiées, le vote de la suppression doit être réalisé à l’unanimité pour limiter le risque de contestation de l’assemblée générale.

 

    
Vigilance :

•    L’article 26 prévoit que la décision d’aliénation de la loge du gardien doit être inscrite à l’ordre du jour de la même assemblée générale que la décision de suppression du poste de concierge.
•    La loge ne peut pas être cédée à vil prix, sauf à exposer le syndicat des copropriétaires au risque de voir requalifier la vente en donation déguisée et s’exposer à des sanctions fiscales.
•    Dans l’hypothèse où les services du gardien étaient répartis entre deux syndicats des copropriétaires, la décision de suppression du poste devra être prise par les deux syndicats propriétaires[7].

 

    

 

[1] Cour d’appel de Paris, pôle 4 chambre 2, 23 févr. 2022, n° 19/03060 
[2] Cour d’appel de Paris, pôle 4 chambre 2, 15 février 2017, n°15/12099
[3] Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 2ème section, 5 décembre 2024, n°21/14703
[4] Cour de cassation, Chambre civile 3, 24 septembre 2008, n°07-17.039
[5] Cour d’appel de Paris, Pôle 4 chambre 2, 11 juin 2009, n°08/06378 ; Cour d’appel de Paris, Chambre 23, section B, 15 juin 200, 1999/01109
[6] Cour d’appel de Partis, Pôle 4 chambre 2, 3 septembre 2014, n°12/21386
[7] Cour d’appel d’Aix en Provence, Chambre 17, 24 avril 2025, n°21/16236

 

    

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